CHAPITRE 44
Le boyau était terriblement étroit. De quel courage, de quelle détermination avaient dû faire preuve les combattants de la Résistance pour accomplir un tel exploit, se dit Ben. Et à plusieurs reprises. Rien d’étonnant à ce qu’ils aient eu recours au jeune Fritz Neumann. Seul un enfant était capable de se glisser sans trop de difficultés à travers cet espace réduit.
Ben avait déjà emprunté des goulets pareils à celui-ci, alors qu’il explorait les grottes de White Sulfur Springs. Mais ils s’élargissaient vite, tandis que celui qui s’ouvrait devant lui semblait long de plusieurs centaines de mètres.
À cet instant, il saisit tout la mesure des paroles entendues de la bouche de spéléologues vétérans. Ils disaient que leur quête souterraine leur permettait d’affronter des terreurs primordiales – la peur du noir, de la chute dans le néant, la peur de se perdre dans un labyrinthe, d’être enterré vivant.
Mais il n’avait pas le choix, il n’avait plus le choix. Il concentra ses pensées sur Anna et rassembla toute sa volonté.
Quand il pénétra dans le trou, tête la première, il rencontra un courant d’air froid. À son embouchure, le passage faisait environ soixante centimètres de haut, si bien que le seul moyen d’avancer consistait à ramper sur le ventre comme un lombric.
Il se défit de son sac, le posa devant lui et se mit à pousser avec les pieds, à tirer avec les bras. Trois ou quatre centimètres d’eau glacée stagnaient sur le sol du tunnel. Son pantalon fut bientôt trempé. Le boyau formait une série de lacets qui l’obligeaient à se contorsionner. Un coup à droite, un coup à gauche.
Finalement, le passage commença à s’élargir. Le plafond était à présent à un mètre cinquante du sol, ce qui lui permit de soulever son ventre engourdi par l’eau glacée et de se redresser un peu. Il poursuivit sa route, courbé en deux.
Bientôt, son dos se mit à lui faire mal. Il décida de souffler un peu et s’assit sur son sac, les mains sur les cuisses.
Quand il trouva la force de repartir, il remarqua que le plafond s’abaissait de nouveau. Il ne disposait plus que d’un espace de quatre-vingts centimètres de haut. Il se mit à quatre pattes et progressa comme un crabe.
Pas longtemps. Le sol rocheux lui égratignait les rotules. Il tenta de relâcher la tension en s’appuyant sur les coudes et les orteils. Puis, la fatigue venant, il recommença à ramper. Lorsque le plafond s’abaissa encore, Ben se tourna sur le côté et poursuivit sa route en jouant des bras et des jambes contre la paroi du tunnel sinueux.
À présent, le plafond n’était plus qu’à cinquante centimètres au-dessus de lui. Il lui râpait le dos. Ben dut s’arrêter, le temps de réprimer une vague de panique. Il se retrouva encore une fois à plat ventre, mais sans savoir si sa lente reptation aurait une fin. Le faisceau de sa lampe frontale ne portait qu’à un ou deux mètres. Il ignorait ce qu’il y avait au-delà de ce tunnel en forme de cercueil. Et les parois se rapprochaient toujours.
Malgré sa peur, il remarqua que le passage semblait remonter peu à peu. Le sol était toujours détrempé mais l’eau ne ruisselait plus. Et, comble de l’horreur, le goulet était à présent si resserré que la roche raclait aussi bien son dos que son ventre.
Il continua à progresser en poussant son sac devant lui. Le tunnel faisait maintenant quarante centimètres de haut à peine.
Ben était pris au piège.
Non, pas encore, pas tout à fait, mais c’était tout comme. La terreur s’empara de lui. Il lui restait juste assez de place pour se faufiler. Son cœur battait à tout rompre, la peur lui ôtait ses dernières forces. Il dut s’arrêter.
Il savait que la panique était la pire des choses. La panique vous glaçait, vous paralysait. Il se força à respirer lentement, plusieurs fois, puis il expulsa tout l’air de ses poumons afin de réduire le diamètre de sa cage thoracique et pouvoir passer malgré l’exiguïté du tunnel.
Couvert d’une sueur froide, il avança en se tortillant, en tentant de se focaliser sur son but final, sur l’importance cruciale de ce qu’il était en train d’entreprendre. Il se projetait dans l’avenir, il imaginait ce qu’il ferait au moment où il entrerait enfin dans le Schloss.
La pente devenait plus raide. Il inspira et sentit les parois rocheuses lui comprimer la poitrine, bloquant sa respiration. Ce qui eut pour effet de provoquer un afflux d’adrénaline et de raccourcir son souffle. Sur le point de suffoquer, il dut s’arrêter une fois de plus.
Ne réfléchis pas.
Détends-toi.
À part Neuman, personne d’autre ne le savait là-dessous. Il mourrait enterré vivant dans ce puits noir infernal qui ne connaissait ni les jours ni les nuits.
Ben écoutait cette petite voix qui lui susurrait de renoncer mais il se refusait à la croire. Au fond de lui, un être courageux et déterminé s’éveillait et prenait les commandes. Les battements de son cœur s’apaisèrent, une délicieuse bouffée d’air froid s’insinua jusqu’au fond de ses poumons. Une sensation de calme se répandit dans tout son corps comme une tache d’encre sur un buvard.
Serein et résolu, il se jeta en avant, rampa, se tortilla comme un ver, sans prendre garde à la roche qui lui écorchait le dos.
Soudain le plafond s’éleva considérablement, les parois s’écartèrent. Ignorant la douleur qui puisait dans ses mains et ses genoux, il se mit à quatre pattes et se traîna ainsi le long de la pente. Il était entré dans une sorte de grotte obscure où il put se redresser complètement, avec un infini soulagement.
Il aperçut alors une lueur diffuse.
C’était une lumière lointaine, à peine visible, mais à ses yeux, elle luisait comme un soleil levant.
Juste au-dessus de lui, se profilait la sortie de la grotte. En effet, elle avait un peu la forme d’un trou de serrure. Il escalada un tas d’éboulis, puis il passa la tête dans l’ouverture et, malgré ses bras engourdis, s’aida des deux mains pour hisser son corps.
Puis il aperçut les étroits barreaux de fer rouillés d’une vieille grille, scellés dans la bouche irrégulière de la grotte comme une plaque de fonte recouvrant une bouche d’égout. Il lui était impossible de voir ce qu’il y avait derrière cette barrière, hormis un rayon oblique comme un rai de lumière filtrant sous une porte.
Il sortit la vieille clé que Neumann lui avait donnée, l’enfonça dans la serrure et la tourna.
Essaya de la tourner.
Mais elle ne tournait pas. La clé ne bougeait pas.
La serrure était complètement rouillée. C’était ainsi ; le vieux mécanisme n’avait pas été entretenu pendant des décennies. Ce n’était plus qu’une concrétion de métal rouillé. Il fit jouer la clé plusieurs fois, en avant et en arrière, mais sans aucun succès.
« Oh, mon Dieu », s’exclama Ben à voix haute.
Il était fichu.
C’était la seule éventualité que ni lui ni Neumann n’avait pu prévoir.
Il n’existait aucune autre manière d’entrer. Même s’il avait eu des outils, comment aurait-il fait pour creuser autour de la barrière ; elle était scellée dans le roc. Lui faudrait-il faire demi-tour, si près du but ?
À moins que… À moins que l’un des barreaux soit à ce point rouillé qu’on puisse le déceler rien qu’en le poussant. De son poing ganté, Ben cogna contre les barres de fer jusqu’à ce que la douleur soit trop grande, mais rien ne se passa : la grille tenait bon. La rouille n’était que superficielle.
Désespéré, il s’accrocha aux barreaux et les fit sonner comme un prisonnier de Saint-Quentin. Et soudain, il entendit un bruit étrange.
L’une des charnières s’était brisée.
Il reprit son manège, plus fort, jusqu’à ce qu’une autre charnière cède d’un coup sec.
Il continua, plein d’espoir. Finalement la troisième et dernière charnière tomba par terre.
Il attrapa la grille à deux mains, la souleva, la poussa et la déposa doucement sur le sol, de l’autre côté.
Il était à l’intérieur.